Il fallait y être. Pas n’importe où, pas n’importe quand. Il fallait être là, à Moffet, le 7 mars 2024, pour la première mondiale – pas locale, pas régionale, pas provinciale, mondiale, m’entends-tu? – de la pièce Michelin, co-produite par le Théâtre du Tandem et écrite et jouée par Michel-Maxime Legault.
Dans le gymnase de l’ancienne école primaire devenue centre communautaire, un théâtre s’était matérialisé comme s’il y avait toujours été. Au fond, la régie; devant, les 200 places du public; devant le public, une scène et un grand rideau rouge entouré d’un décor rappelant la devanture d’une grange. À 20h, les lumières se sont éteintes sur la salle comble et le comédien est entré en scène. Le public, attentif, a ri une première fois, puis encore, a été touché, a ri encore, s’est ému de nouveau, et ainsi de suite, pour 90 minutes.
Michelin, c'est pas une marque de pneu ça?
Quelle aurait été ma vie si je m’étais appelé Michelin? Voilà la question, a priori un brin absurde, qui constitue le point de départ de la pièce. Car oui, Michel-Maxime a bel et bien failli porter le nom de la célèbre compagnie de pneus et de son – non moins célèbre – bonhomme. S’il a échappé à ce destin, il n’a pas échappé au reste : à l’enfance, à la famille, à la réalité du milieu agricole, à la sensation d’être toujours un peu différent, un peu trop sensible, un peu trop passionné par ce qui ne passionne pas celles et ceux qui l’entourent. La question du prénom devient alors un prétexte pour plonger dans les souvenirs familiaux de l’auteur, mais surtout pour aborder les thèmes centraux de l’identité, de la diversité, des choix de vie, des parcours chaotiques auxquels on finit par trouver un sens.
Le quotidien d'une famille d'agriculteurs
À travers une écriture rythmée dosant parfaitement l’humour et l’émotion, Michel-Maxime nous transporte avec une joie certaine dans le quotidien d’une famille d’agriculteurs de Saint-Polycarpe chez qui les vacances n’existent pas et où Fort Boyard constitue l’échappatoire par excellence.
On sent par ailleurs que l’auteur souhaite parler avec vérité, sans idéaliser ses personnages, sans minimiser la souffrance de certain.e.s ou l’injustice suscitée par différentes situations. Loin d’occulter les aspects plus durs de son histoire et de celle de son entourage, l’auteur choisit de laisser place aux lacunes comme aux excès, à la beauté comme à la laideur. La plume de Michel-Maxime semble, en somme, portée par une admiration et une affection véritables. C’est sans doute là, dans ce regard tendre et sincère porté sur les siens, que se trouve le lien qui nous transporte du rire aux larmes. Au final, c’est surtout une volonté de faire honneur à son milieu d’origine qui ressort du texte.
Questionné à ce sujet, l’auteur explique : « À vingt ans, j’aurais été très dur, acerbe, mais à quarante ans, j’ai avancé, j’ai vécu mes réussites, mes échecs. Je sais que mes parents ont fait de leur mieux et mes frères et sœurs aussi. Ce regard tendre, c’est celui de la réconciliation, mais ça va plus loin que ça. Je suis fier d’être né là, je ne pense pas que je ferais le métier de la même façon si j’avais grandi dans un autre contexte. C’est plus qu’une réconciliation, c’est une ode à la famille. »
« Ce regard tendre, c’est celui de la réconciliation, mais ça va plus loin que ça. Je suis fier d’être né là, je ne pense pas que je ferais le métier de la même façon si j’avais grandi dans un autre contexte. C’est plus qu’une réconciliation, c’est une ode à la famille. »
Michel-Maxime
Une démarche ancrée dans le territoire
Mais cette histoire de première à Moffet, d’où vient-elle? C’est qu’il y a de l’Abitibi-Témiscamingue dans cette coproduction du Théâtre de la Marée Haute, du Théâtre du Trident, du Grand Théâtre de Québec… et du Théâtre du Tandem, basé à Rouyn-Noranda. C’est d’ailleurs le comédien, auteur et metteur en scène de Rouyn-Noranda, Alexandre Castonguay, qui assure la direction artistique et la dramaturgie de l’oeuvre.
Ainsi, afin d’enraciner leur proposition dans la réalité agricole et territoriale, Michel-Maxime et son équipe ont effectué une résidence de création d’une semaine dans la région. Durant cette période, les artistes sont allés à la rencontre d’agriculteurs et d’agricultrices, ce qui permis de mettre en lumière certains éléments de la pièce qui pouvaient être mieux explicités ou encore, n’avaient pas besoin de l’être. « C’est un public qui ne ment pas. Ils ne riront pas pour te satisfaire. J’aime cette franchise-là et je pense que le texte a aussi cette franchise », rapporte Michel-Maxime.
Chaque représentation est une première
En plus d’avoir servi d’inspiration pour les décors et la mise en scène, cette démarche a rendu possible une réelle proximité avec les réalités spécifiques des lieux fréquentés. Il en résulte un contact authentique avec le public, comme si le comédien voulait poser ce fameux regard tendre non seulement sur sa famille, mais sur chaque individu, dans le contexte qui lui est propre : « Certaines phrases changent en fonction de la place où on est. On n’est pas un show de tournée : chaque journée est une première », témoigne-t-il.
Il fallait y être donc, mais si vous n’en avez pas eu l’opportunité, la production sera de retour dans la région au mois de mai pour effectuer une tournée dans plusieurs villes et villages de chacune des MRC. L’adaptation du texte sous forme de roman est également parue aux Éditions du Quartz en février dernier, question de vous faire patienter.