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L’Abitibi-Témiscamingue, remède contre tous les clichés

En tant qu’étrangère, et bien que déjà familière avec ce cher Québec, l’Abitibi-Témiscamingue sonnait comme une incongruité cachée derrière quelque forêt imaginaire. J’ai d’ailleurs lu la même curieuse interrogation sur la face de tous ceux qui m’ont entendu prononcer le nom (presque mystique!), de cette lointaine contrée.

J’avoue, je n’avais aucune idée d’où j’allais me rendre. C’est que je voyage ainsi, avec mes plus rondes idées préconçues, avec un imaginaire bien tiré par les cheveux. À l’arrivée, la surprise en est ainsi décuplée ou alors (mais de rares fois) c’est une grande fierté que d’avoir deviné.

Et s’il y a une chose que j’avais vu juste dans le cas de l’Abitibi-Témiscamingue, c’est qu’il est bel et bien caché derrière une forêt. Avec mes amies Jennifer, Anne, Claudia et Pascale (cette dernière accompagnée de sa fille et d’une jolie collection de petits poneys), nous prenons la route jusqu’à la réserve faunique La Vérendrye, un petit 13 615 km2 de nature que nous couperons en deux (par le chemin le plus court… et le seul, c’est-à-dire environ 300 km) pour atteindre notre première destination, la Vallée-de-l’Or.

Qui a dit que conduire est ennuyeux? Impossible de se lasser à la vue de tous ces lacs, beaux arbres, repaires à castors, ponts et j’en passe.

Une fois dans la région, c’est la ribambelle de surprises. C’est ça, la beauté d’un road trip: chaque jour on est ailleurs, chaque heure parfois même! Alors c’est le plein constant de nouveautés, aucune chance de s’ennuyer. Et ici, pour bien faire, nous allons traverser les cinq municipalités régionales de comté qui composent la région (oui, ici il est un peu compliqué de définir une fraction de région).

La Vallée-de-l'Or

Bref, cette Vallée-de-l’Or. Dans mon imaginaire, c’est au cœur d’une forêt qui vire à un jaune flamboyant l’automne venu. Peut-être: je n’en serai pas témoin. En réalité, c’est plutôt au métal précieux que l’on fait référence. Et ainsi, pour la première fois de ma vie, je descendrai dans les ténèbres qu’empruntaient les prospecteurs, à La Cité de l'Or. Oui, c’est exactement comme ça que je m’imaginais une mine!

Et non, pourtant, toutes les mines ne sont pas comme ça. À Malartic par exemple, c’est une immense mine à ciel ouvert que je découvre, avec des camions dont les roues font presque deux fois ma tête. Pas d'effondrements ni de coups de grisous possibles par ici.

Et, pensez-vous, j’imagine l’horreur que cela doit être, de vivre à côté d’une mine? Et en fait non. Toutes les maisons ont été déplacées par camion. Oui, vous m’avez bien lu! On a pris les maisons une par une, on les a posées sur une remorque et elles ont été progressivement déplacées plus loin. Des emplois spécialisés ont été créés à la pelle, avec un accent posé sur l’égalité des sexes, et de nombreuses institutions ont bénéficié d’une reconstruction... en nettement mieux!

Amos-Harricana

À Amos, en Abitibi, je visite pour la première fois (que de premières fois, les amis!) une réserve amérindienne: Pikogan. Et là bien sûr, je m’imaginais un lieu particulièrement boisé. Que nenni! Une réserve, ça ressemble à n’importe quel village, finalement: que l’on me pardonne pour mon ignorance… qui ne s’arrête pas là.

Tom Mapachee, chef de bande à Pikogan, est ravi de nous raconter un morceau de l’histoire de son peuple, les Algonquins. Enfant, il a été placé dans un pensionnat: un sombre lieu dédié au formatage culturel de ceux que l’on appelait alors les Indiens. À côté de l’enseignement forcé du christianisme, on leur faisait désapprendre et perdre foi en leurs traditions ancestrales, les dépeignant comme le mal.

Mais Dieu merci (!) bon nombre de croyances se sont révélées impossibles à tuer, car les Algonquins ont toujours laissé une place au créateur dans toutes leurs activités, leur foi était naturelle.

Aujourd’hui, de nombreuses personnes œuvrent dans la conservation et la transmission des savoirs ancestraux, mais aussi dans la communication de leur culture à d’autres ethnies « afin de se faire connaître pour vivre en harmonie » dit Tom Mapache.

Et il y a encore tant à apprendre...

Retrouvez plus d’informations sur la fiche du Centre d’Amitié autochtone de Val-d’Or

L’Abitibi-Ouest

À mon arrivée dans l’Abitibi-Ouest, je suis prise sous l’aile de Marcel Bouchard, un passionné de sa région. Il commence par me faire visiter la maison de ses pionniers d’ancêtres. Monsieur Bouchard est une preuve vivante que (entre autres!) on peut construire un musée en seulement trois ans: entrepreneurs, prenez-en de la graine!

La Maison Turgeon est une mine d’or de témoignages historiques. Ici, l’histoire des premières infirmières, là les correspondances avec les hommes de foi, très influents dans la région… Le tout agrémenté de mille objets et documents ayant survécu aux années.

Après ce saut dans le temps, il m’emmène à la rencontre de quelques personnalités régionales, dont Alexandre D. Nickner, le plus jeune maire du Québec. Il s’est fait élire à seulement vingt ans en proposant un programme délicieusement révolutionnaire: une assemblée composée d’une variété de sexes et d’âges pour représenter au mieux la municipalité. Clermont, autodécrite comme “jeune, farouche et hyperactive”, a donc joyeusement embrassé tout le package!
À aujourd’hui 23 ans, Alexandre doit être le maire le plus abordable et gentil du Québec (et il cuisine une pizza dont serait jaloux n’importe quel italien)! Il multiplie les casquettes en éditant aussi le journal du coin, Le Hurlement.

Ensemble, nous nous rendons au Chalet du Viking, à la rencontre de Richard Perron. Sa famille est connue ici pour l’entreprise qui a créé le plus d’emplois dans la région, menée par son père, Jean Perron.
Je parcours avec plaisir cette partie de sa demeure, posée au beau milieu de la nature abitibienne. Fan de bonne chère et très inspiré par l’Italie il prépare vins et (exquises!) salaisons dans ce qui ressemble à un petit laboratoire de savant fou, sa Cantina del Nord. Lui et sa femme invitent leurs hôtes « à vivre leur rythme de vie » s’ils le souhaitent: soit se ressourcer au cœur de la nature, bien manger, et se dépenser à travers mille activités plus ou moins aventureuses (bonne chance, quand même, pour suivre Monsieur Perron... Il est allé au Pôle Nord à ski de fond)!

Rouyn-Noranda

La beauté d’un road trip, ce sont aussi les saveurs… changeantes, comme la destination du jour. C'est une excellente opportunité de ne goûter qu’au meilleur de chaque étape: pas le temps de se lasser! Et c’est à Rouyn-Noranda, le chef-lieu de la région, que j’ai eu mon plus gros coup de cœur.

Bienvenue au Deuxparquatre Pub brut, où la restauration est élevée à l’art de concept design. Ici, tout est brut. Les matériaux, le mobilier et les objets décoratifs utilisés ont tous leur histoire et leur passé: preuve qu’avec du seconde main on peut parvenir à une réussite esthétique totale.

Quant au goût, ici tout est permis, et on ne lésine pas avec le gras. Aucune calorie ne sera sacrifiée pour atteindre la perfection gustative! Qu’il s’agisse de son Bloody Caesar (un cocktail rappelant le Bloody Mary) assorti de sa tranche de bacon grillé, de son Sugar Daddy (une poutine dessert mariant agréablement frites, sauce au chocolat et boulettes de guimauves) ou de ses burgers-frites, on ressort plein et heureux.

Le Témiscamingue

Au Témiscamingue, la surprise est de taille: je rencontre l’Gros Trappeur! Grand gaillard au regard tendre, Pascal Laliberté trappe comme l’ont fait ses ancêtres, sur trois générations.

À l’heure d’une économie basée sur le rendement, il a cependant fallu un tantinet s’adapter, juste histoire de survivre. Et c’est là qu’est intervenue sa femme, Claude, la petite voix qui l’a mis sur la voie de l’entrepreneuriat.

Pascal fait aujourd’hui plus ou moins tout: confection de divers objets ou habits à base de fourrure, taxidermie, guide de chasse, tannerie, formation de trappeurs, consultation pour la préservation de l’habitat des bêtes à poil, fabrication de saucisse d’ours...

D’après Pascal, l’homme et toutes ses installations est venu déséquilibrer la nature. Non seulement la population des espèces doit être régulée, mais certains animaux s’approchant trop de l’homme deviennent dangereux (pour les hommes comme pour eux-mêmes). Lorsque la délocalisation pour une vie meilleure n’est pas possible, il faut malheureusement les abattre. Pascal utilise absolument tout des animaux qu’il abat, histoire qu’ils ne soient pas morts pour rien. Et tiens, saviez-vous que la durée de vie d’une fourrure tannée s’étend jusqu’à 200 ans? Contrairement à un objet en pétrole, c’est une matière renouvelable et écologique.

Et lorsque le voyage touche à sa fin...

Arrivée pleine de rêvasseries, je repartirai de l’Abitibi-Témiscamingue pleine de bonnes idées et avec la certitude encore plus appuyée qu’un rapprochement à la nature est de plus en plus nécessaire.
Par ici, tout le monde semble se connaître. Si je sais ce que mon voisin fait de beau ou de bon, je vais chez lui! Je lui donne un coup de main, j’utilise ses produits et j’en suis fière. Et il en fait naturellement de même pour moi. La force créative et l’énergie entrepreneuriale sont certainement alimentées par cette proximité avec l’autre et avec le Tout. Quant aux animaux, ils sont choyés par tout l’espace et tout le respect qui leur est donné.

En Abitibi-Témiscamingue on ne vit ni ne meurt pour rien: tout s’inscrit dans la beauté d’être et d’avoir été!

– Corinne Stoppelli, Vie Nomade.

Lisez-moi : www.vie-nomade.com