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L’art traditionnel selon Grace Ratt : Un devoir de transmission

texte de GABRIELLE IZAGUIRRÉ-FALARDEAU, EN PARTENARIAT AVEC L'Indice bohémien

Ayant grandi à Kokomville, un village blotti dans la forêt de La Vérendrye, au nord de la communauté anicinabe de Kitiganik, Grace Ratt réside maintenant à Winneway, au Témiscamingue. C’est d’ailleurs à partir de l’école de ce village, siège de la Nation de Long Point, qu’elle me rejoint en visioconférence, souriante et rieuse. Elle m’explique, hilare, qu’elle travaille à l’école, mais qu’elle a été claire dès son embauche : « Je leur ai dit si tu me mets dans une classe, moi je vais sortir! » Précisons que Grace Ratt enseigne les traditions de l'une des Premières Nations.

« Grace porte en elle tout un héritage issu du contact direct avec la nature et le savoir des personnes aînées. »

Gabrielle Izaguirré-Falardeau

Puis, elle décrit son projet de classe extérieure. On y trouve des peaux de castors, de loutres et d’orignaux. Avec ces peaux, elle enseignera les méthodes de tannage traditionnel des Premières Nations. Une fois ces peaux traitées, elles serviront à faire de l’artisanat avec les élèves. C’est que Grace porte en elle tout un héritage issu du contact direct avec la nature et le savoir des personnes aînées. C’est précisément ce bagage de traditions et de connaissances qu’elle souhaite transmettre aux enfants qu’elle côtoie.

De la forêt au village

Après le décès de sa mère lorsqu’elle avait à peine deux ans, Grace a été recueillie tour à tour par différents membres de sa famille. Toutefois, elle est toujours restée au sein de sa communauté. Malgré quelques années passées en pensionnat, l’artiste a toujours conservé un lien étroit avec sa culture et sa langue première, l’anicinabemowin : « Chaque fois qu’on revenait [à la maison], quand ils nous entendaient parler français, ils nous rappelaient de parler notre propre langue », explique-t-elle.

Apprendre les traditions pour survivre

Par l’entremise de sa kokom (grand-mère), Grace s’est également initiée à diverses méthodes traditionnelles pour fabriquer des objets et combler les besoins quotidiens : « J’ai dû apprendre à faire des mitaines, des bas, tout ça pas pour vendre, simplement pour se préparer à l’hiver. Il n’y avait jamais la mentalité de vendre, on faisait ça pour survivre, c’était notre mode de vie. Ma kokom m’a toujours dit de l’aider, j’ai appris en l’observant, elle ne me donnait pas d’instructions. » C’est d’ailleurs une des premières choses que Grace a soulignées au début de notre entretien, en fermant la porte pour couper le son des conversations environnantes : elle préfère de loin l’écoute au bavardage.

« J’ai dû apprendre à faire des mitaines, des bas, tout ça, pas pour vendre, simplement pour se préparer à l’hiver. Il n’y avait jamais la mentalité de vendre, on faisait ça pour survivre, c’était notre mode de vie. Ma kokom m’a toujours dit de l’aider, j’ai appris en l’observant, elle ne me donnait pas d’instructions. »

Grace Ratt

C’est en quittant la forêt pour la vie en réserve que Grace a commencé à pratiquer l’artisanat à l’intention d’autrui, mais toujours en suivant son instinct : « J’ai comme des visions de ce que je veux faire. Je tente de les retenir et de faire mon artisanat à partir de ça. Parfois ça vient des rêves ou juste en regardant autour. Si le goût de perler n’est pas là, je change de technique. Si je veux rien faire, je fais rien jusqu’à tant que ça revienne. » Elle porte également une attention particulière à l’humeur qui accompagne la création : « Je ne fais rien quand je suis choquée, malade, si je me sens seule. Je ne crée jamais quand l’émotion négative est là, car ça se transmet sur l’objet », insiste-t-elle.


L’importance de la transmission

Le travail artisanal de Grace, depuis qu’elle a quitté la vie en forêt, est loin de s’arrêter à la production commerciale. En enseignant son savoir, elle souhaite assurer une continuation culturelle auprès des nouvelles générations. « Si un seul enfant apprend ce que je fais, c’est une réussite », déclare celle qui avoue être régulièrement confrontée au pouvoir des technologies :
« Les téléphones, les gadgets, tout ça, sont plus forts », se désole-t-elle.

Grace Ratt porte et enseigne les savoirs traditionnels de sa nation, les Anicinabek. On peut la voir à l'oeuvre, tout sourire, sur cette photo.
Photo : Marie-Raphaëlle Leblond

Malgré tout, elle persiste. Grace s’arme de patience et de tolérance : « Même s’ils ne sont pas intéressés, ils regardent ce que je fais, entendent ce que je dis, ils reçoivent l’enseignement. » Elle cite l’exemple d’un enfant particulièrement réticent. Elle a laissé s’asseoir celui-ci en retrait. Puis, il s’est approché par lui-même : « Finalement, il a été capable de faire des boucles d’oreille et de les vendre, il était très fier de lui! »

Modernité et tradition

Toujours dans la perspective de valoriser la culture et l’art anicinabe, Grace participe à un projet de représentation d’objets traditionnels en trois dimensions. Ce projet est une collaboration avec le réalisateur Serge Bordeleau et Minwashin. Les images seront consultées en ligne sous la forme d’un jeu vidéo en réalité augmentée. Ainsi, dans ce jeu, on peut découvrir l’ensemble des objets d’artisanat réalisables à partir d’une patte d’orignal. Le tout, en passant par chacune des étapes de fabrication. Les renseignements y sont accessibles en français, en anglais et en anicinabemowin.

Grace travaille également à l’élaboration d’objets traditionnels accompagnés de fiches informatives. De cette façon, ces objets pourront servir d’outils pédagogiques pour l’enseignement dans différents milieux. Chose certaine, elle trouve les moyens pour assurer une continuité. Pour y arriver, elle facilite auprès des jeunes l’accès aux savoirs traditionnels et à l'histoire des Premières Nations, leur histoire.

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