Aller au contenu

Tout près de la communauté de Pikogan, le soleil d’été frappe sur l’eau foncée de la rivière Harricana. Il y a à peine 100 ans, cette rivière était encore la route principale des Anicinabek. Les Abitibiwinnis de Pikogan y accordent une importance particulière et c’est pourquoi Malik Kistabish nous y donne rendez-vous. Quand on lui demande de nous parler de lui, il se met à rire et nous demande si on a beaucoup de temps.

« J’ai grandi à Pikogan. J’ai fini mon secondaire cinq à Amos, mais j’ai dû le refaire et j’ai pris la décision de partir. J’avais trop de distractions, j’ai décidé de me donner une chance. Je suis revenu après avec mon diplôme en main. La forêt m’avait manqué parce qu’au Saguenay, oui, il y a de grands espaces autant qu’ici, mais ce n’était pas mon chez-nous à moi. Après ça, pour les mêmes raisons, j’ai décidé d’aller à Montréal pour mes études collégiales. Je suis encore revenu avec un diplôme en main. J’ai bien aimé mon expérience là-bas, j’ai découvert autre chose, mais ce qui m’a poussé à revenir en région, c’est que je n’aimais pas le béton, le stress que ça apportait. Au début, je marchais tranquillement pour pogner le métro, mais rendu à Noël, je courais. Le bois, les grands espaces me manquaient beaucoup. J’avais mis de côté ma culture anicinabe. Pas que je la reniais. À Montréal, je ne pouvais pas aller à la chasse à l’orignal. C’est ça qui m’a appelé à revenir en région, mon mode de vie anicinabe qui est vraiment important pour moi. De faire revivre ce que ça résonne en dedans de moi. Et aussi la fierté d’être allé chercher des acquis à l’extérieur et de ramener ça pour l’avenir de ma communauté. Je pouvais contribuer à l’avancement de Pikogan. J’ai commencé à travailler pour le Conseil de la Première Nation Abitibiwinnni en tant que comptable. Ça fait déjà 20 ans. Après 5 ans, j’ai transféré aux services de santé, comme adjoint d’abord, puis, depuis 2008, je suis directeur de la santé. »

Pour quelqu’un qui n’aimait pas le stress, c’est tout de même une grande responsabilité…

« C’est un gros défi, mais c’est pour aider la communauté à se responsabiliser. Ce n’est pas négatif ce que je dis là, mais on a tous la responsabilité de prendre sa santé en main. Si je tombe malade parce que je n’ai pas mis mon manteau dehors, ce n’est pas à cause que le voisin ne m’a pas donné un manteau, non, c’est à moi de le mettre. Moi, je suis juste l’outil qui aide à donner certains services aux membres de la population. »

On le sent heureux de ce qu’il a accompli et de ce qu’il fait encore aujourd’hui.

« Une autre de mes fiertés, c’est que j’ai arrêté de consommer de l’alcool. Ce diplôme-là, on ne le voit pas, mais c’est le plus beau que je suis allé chercher. Me donner la chance de vivre un autre mode de vie en étant loin des substances qui pourraient influencer mes choix, mes actions. C’est important que j’aie pris ce choix-là parce qu’aujourd’hui, je ne serais pas devant vous. Après ça, j’ai mes trois enfants. Une femme aussi, et sa fille. On a une famille reconstituée de quatre enfants. Ça fait aussi partie de ma fierté! »

Comme beaucoup d’Anicinabek, il a un sourire contagieux, qui fait plisser ses yeux noirs étincelants.

« J’aime vivre à Amos, me retrouver en forêt, sur une rivière. L’Harricana, pour moi, ça représente le chemin que mes ancêtres ont emprunté dans le temps. L’histoire de ma communauté est importante pour moi. Ça définit qui je suis. Oui, la vie évolue, mais il ne faut pas oublier d’où on vient. Je viens d’ici, j’ai été élevé de la façon anicinabe avec un mode de vie traditionnel : aller dans le bois, cueillir des petits fruits, apprendre la vie dans le bois… mais il a fallu aussi qu’on aille à l’école, parce que ce n’est plus pareil comme dans le temps, que pour vivre, il fallait chasser. Moi, je suis obligé de rentrer au travail de 8 h à 4 h 30 pour nourrir ma famille. Il a fallu que je fasse ce choix-là, tout en ne mettant pas de côté mon mode de vie anicinabe. C’est ça qui est important et c’est ça que je veux transmettre à mes enfants et à la jeune génération. »

Cette mission, il la réalise aussi en tant que danseur traditionnel.

« Ce n’est pas un spectacle, c’est un autre volet de notre mode de vie. C’est une façon de se rassembler entre nations, entre familles. Et quand je dis nations, c’est aussi les non-autochtones. Vous êtes les bienvenus. Vous faites partie des nations qui peuplent la région. Je trouve ça important de vous inviter et que vous veniez vivre ça, notre Pow-Wow. C’est un moment où on se rassemble, où on échange entre nous. Une des traditions premières, c’est que les danseurs et les drummeurs* traditionnels le montrent à la génération future. C’est vraiment un bel événement, un beau rassemblement. C’est une beauté et ce n’est pas juste à nous de vous l’offrir, mais c’est à vous aussi de vous l’offrir. Parce que nous, on va le faire quand même… »

Voilà! L’invitation est lancée.