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Le Verger des Tourterelles ; à en tomber dans les pommes

Par Claudie Ouellet C’est en empruntant un chemin de pierre bordé d’arbres fruitiers menant à une rustique maison canadienne que je suis entrée dans l’univers du le Verger des Tourterelles : décor champêtre par excellence! C’est Jocelyn qui m’accueille chaleureusement en m’informant que lui et son amoureuse, Marie-Ève, viendront me rencontrer après le dîner. Je me sens déjà comme à la maison. Pour occuper mon temps, j’en profite pour me balader dans le verger d’environ 5 hectares. La saison d’auto-cueillette semble avoir été bonne, car décidément, il ne reste presque plus rien dans les pommiers! Mis à part les pommes, je remarque qu’il y plusieurs autres variétés de fruits: prunes, groseilles, cassis, camerises, pommettes, gadelles, sureaux, raisins, framboises, cerises et poires. Ces fruits sont ensuite utilisés dans la fabrication artisanale de cidres, de liqueurs alcoolisées, de tartinades et de sirops. Le Verger des Tourterelles profite d’une zone climatique un peu plus clémente que sa consœur l’Abitibi et d’un microclimat créé par la proximité du lac Témiscamingue. Ainsi, différentes variétés de pommes plus rustiques y poussent très bien. L’histoire du verger : Lorsqu’une pomme vous tombe sur la tête Marie-Ève me raconte que c’est en 2009 qu’elle et Jocelyn ont racheté le verger qui avait déjà 20 ans d’activités au Témiscamingue. Lui, était diplômé en technologie forestière et elle, avait passé plusieurs saisons à cueillir des fruits en Colombie-Britannique. Le couple n’avait aucun bagage en culture maraichère, mais ont toutefois mis leurs passions pour la nature en commun afin de démarrer leur entreprise familiale. L’ancien propriétaire est resté près du couple environ un an pour leur enseigner les bases du traitement des arbres fruitiers, les étapes de la récolte, de la production et de la transformation. En commençant de zéro, ils ont dû élaborer un système de drainage pour entretenir leurs champs, remplacer certains arbres morts ou malades et acheter une nouvelle parcelle de terre. Être pomiculteur c'est en voir des vertes et des pas mûres Pour les propriétaires du Verger des Tourterelles, le manque de main d’œuvre représente un réel défi. En effet, Marie-Ève s’occupe des champs tous les jours et Jocelyn est présent à temps pleins deux mois pendant l’hiver. Pensez-y : de l’entretien de la terre à la taille des arbres; de la récolte à la transformation; des différents stades de la fermentation jusqu’à l’embouteillage des produits, ça en fait des étapes! Et on ne parle pas de la saison touristique et de celle des marchés publics qui obligent le couple de se déplacer sur tout le territoire de l’Abitibi-Témiscamingue. Jocelyn et Marie-Ève ont même songé faire appel à des travailleurs étrangers[1], mais la taille de leur verger et leur budget ne leur permet pas encore de préconiser cette option. Le véritable enjeu pour les producteurs fruitiers en région nordique, vous le devinerez, c’est le climat. En Abitibi-Témiscamingue, on ne dénombre que deux vergers : celui de l’île Nepawa et celui du Verger des Tourterelles au Témiscamingue. En effet, la région bénéficie d’un microclimat qui permet à plusieurs variétés de pommes rustiques de pousser tels que la Honeycrisp, la Cortland, la Norland, la September Ruby ou la Wealhty… En raison des hivers rigoureux le Verger des Tourterelles ne peut cultiver les variétés de pommes plus connues telles que la Gala, la Empire, la Spartan ou la Lobo : trop sujettes aux maladies et au froid. Si la température descend sous -40 °C ou -45 °C, les arbres meurent ou tombent malade. L’agriculture familiale : Une pomme par jour éloignetait-elle l’industrialisation pour toujours? Le Verger des Tourterelles est une entreprise locale et familiale qui exige une présence humaine constante. Pour Marie-Ève et Jocelyn, il ne s’agit pas seulement d’un gagne-pain, mais bien d’un mode de vie : être agriculteur, c’est être porté par le rythme des saisons et de la météo. C’est une véritable course contre la montre qui exige de privilégier ce qui semble le plus important dans le moment présent et qui minimisera les impacts négatifs sur la production future. Et si l’agriculture familiale avait quelque chose d’intrinsèquement contestataire par rapport aux pratiques agricoles actuelles? Ne nous permettrait-elle pas, justement, d’envisager de nouvelles options dans la manière dont nous produisons nos aliments? L’agriculture familiale, « par sa taille et ses valeurs communautaires, […] s’oppose à la désincarnation de la très grande économie, à l’obligation de performance, au gigantisme des opérations. […] La ferme familiale est un projet de société en soi.[2] » Se questionner à ce sujet nous permet de nous éloigner du concept de productivisme et de l’industrialisation des campagnes. La ferme familiale est en effet un lieu où plusieurs idées se jouent. Il peut s’agir à la fois de questions d’ordre environnementale, de développement durable, voire de coopération humanitaire. S’interroger au sujet de la ferme familiale nous permet aussi de repenser notre rapport à l’écosystème et à la biodiversité, des sujets souvent relevés dans les débats actuels[3]. La ferme familiale et ses autres produits délicieux Le Verger des Tourterelles, bien qu’il soit un lieu charmant et agréable à visiter, représente une porte d’entrée vers un dialogue qui permet de repenser notre rapport à une agriculture tant locale que responsable.  Il s’agit aussi d’un endroit qui prouve qu’il est possible de bien gagner sa vie grâce à une ferme familiale : Marie-Ève et Jocelyn en sont la preuve. Je vous invite fortement à visiter ce site champêtre qu’est le Verger des Tourterelles et d’en profiter pour découvrir les fabuleux produits qui y sont élaborés. En passant des cidres pétillants, aux mistelles de petits fruits, aux beurres de pommes, ainsi qu’aux vinaigrettes, vous trouverez sans aucun doute quelque chose qui vous plaira! Et qui sait, peut-être Marie-Ève et Jocelyn vous inviteront ils à leur table ? D'ici là, vous pouvez goûter leurs produits élaborés de manière durable en allant directement en boutique à Duhamel-Ouest. Bonne dégustation!
Pour plus d’information au sujet des services offerts et des différents points de ventes du Verger des Tourterelles, consultez le site web :https://www.vergerdestourterelles.com/nous-joindre.
[1] En 2021, le Canada a accueilli 61 735 travailleurs étrangers temporaires dans le secteur agricole. Source : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220613/dq220613d-fra.htm.
[2] Marie Lambert Chan, 24 mai 2014, « Le Québec est le pays de la terre », Le Devoir. https://www.ledevoir.com/economie/408791/anthropologie-le-quebec-est-le-pays-de-la-terre.
[3] Je ne tombe pas dans la naïveté de penser que les actions individuelles comme débourser plus pour se procurer un sac de fruits équitable inversera la tendance de l’industrialisation des campagnes. Le défi est beaucoup plus grand et complexe, c’est pourquoi l’État doit s’en mêler. Cela dit, le débat est lancé.
Photos par Claudie Ouellet