Basées à Wendake, les Éditions Hannenorak « se donnent pour mission de faire rayonner la culture et les écrits des Premières Nations » à travers une vaste sélection d’ouvrages de tous genres. Parmi ceux-ci, les livres de la collection Harangues constituent de courts, mais vifs appels à l’écoute et au dialogue. La parole d’auteurs et d’autrices autochtones y est mise de l’avant pour remettre en question le statu quo. Cette parole aborde de front les dynamiques coloniales qui tissent la toile sociale et politique canadienne. L'exploration des pistes de changement et de réconciliation réelles, au-delà des vœux pieux, y est aussi faite. Dans Émergence insoumise, l'autrice autochtone Cyndy Wylde nous guide à travers son parcours et ses réflexions. Elle met en lumière le pouvoir transformateur de l’indignation.
Le chemin de l'insoumission
En effet, Anincinapek8e et Atikamekw Nehirowisiw originaire de Pikogan, Cyndy Wylde dessine, tout au long de ce court, mais puissant essai, le chemin de son insoumission. Née à Pikogan, où on lui a transmis l’anicinabemowin comme langue maternelle, Cyndy est par la suite déménagée à Ville St-Laurent. Alors éloignée de sa culture d’origine, elle dit n’avoir pas réalisé pleinement, au fil de l’enfance et de l’adolescence, l’influence de son identité dans ses relations et ses interactions. C’est en 1990, devant les événements d’Oka, que l’autrice se trouve confrontée pour la première fois à la dualité entre ses appartenances québécoises et autochtones. Il s’ensuivra une longue quête identitaire et la naissance d’un refus affirmé de se soumettre à la résignation.
Au fil des ans, le cumul des témoignages, des constats accablants et des conversations à sens unique reconfirment sans cesse le traitement injuste et inadapté réservé aux siens au sein du système en place. Ça confirme aussi l’absence d’une réelle volonté de changement. Employée pendant 25 ans auprès de Service correctionnel Canada, Cyndy illustre au fil des pages les piètres conditions d’incarcération de ses confrères et consoeurs. « Aucun livre ne serait assez volumineux pour que je puisse y consigner tout ce qui est venu me chercher en tant que membre d’une Première Nation », écrit-elle. Aujourd’hui doctorante en études autochtones à l’UQAT, Cyndy s’intéresse précisément à la sur-représentation des femmes autochtones en milieu carcéral : « Les femmes autochtones n’ont pas de place pour se faire entendre. J’avais déjà des doutes sur leur sur-représentation et leur vécu carcéral, mais on a peu de données à cet égard au Québec », détaille-t-elle.
« Les femmes autochtones n’ont pas de place pour se faire entendre. J’avais déjà des doutes sur leur sur-représentation et leur vécu carcéral, mais on a peu de données à cet égard au Québec. »
Cyndy Wylde
La voix des femmes autochtones
Si l’œuvre de Cyndy se veut solidaire de l’ensemble des membres des Premières Nations, un accent particulier est toutefois mis sur la réalité de ses consoeurs. Tout au long de l’ouvrage, l’autrice dénonce la décrédibilisation de la parole des femmes autochtones et leur invisibilisation. Elle met en valeur la richesse de leurs témoignages et de leur vécu, tout en célébrant leur courage et leur ténacité. « Je pense que les femmes autochtones véhiculent ce qu’elles rapportent. Elles parlent de leur mère, de leur grand-mère, d’elles. C’est incarné, aujourd’hui et maintenant. C’est ce que Joyce a fait quand elle a ramené en trois minutes ce qui avait été dit dans la commission Viens et reçu dans l’indifférence totale. On dirait que les gens se mobilisent avec les vraies histoires. »
Pour elle, une part importante de la résistance réside justement dans l’insoumission qui transcende son livre : « C’est grâce à l’insoumission qu’aujourd’hui on est capables de parler, de dénoncer. On a essayé de nous faire disparaître, mais les femmes autochtones sont encore là et ce sont elles qui prennent le flambeau », affirme-t-elle en soulignant leur nombre croissant dans des positions stratégiques. « Notre histoire laisse des marques, mais c’est aussi grâce à cette insoumission qu’il y a une émergence, que la langue et le territoire sont de plus en plus mis de l’avant comme moyens de revendication », poursuit-elle.
« Je pense que les femmes autochtones véhiculent ce qu’elles rapportent. Elles parlent de leur mère, de leur grand-mère, d’elles. C’est incarné, aujourd’hui et maintenant. C’est ce que Joyce a fait quand elle a ramené en trois minutes ce qui avait été dit dans la commission Viens et reçu dans l’indifférence totale. On dirait que les gens se mobilisent avec les vraies histoires. »
Cyndy Wylde
Parvenir au changement
Émergence insoumise se lit rapidement. La langue de l’autrice est accessible et son ton, empreint d’engagement et d’un brin d’ironie, nous garde accrochés au récit. Force est de constater qu’en peu de temps, Cyndy met tout en place pour nous amener avec elle à la seule conclusion possible. Cette conclusion est que l’avenir passe par la décolonisation et l’autodétermination des peuples autochtones.
Pour elle, cela signifie la déconstruction de nombreuses méthodes et croyances dominantes, en plus de l’intégration des perspectives et des savoirs autochtones au sein des institutions. Elle cite en exemple le milieu de la recherche universitaire: « Il y a plein de façons de faire de la recherche, pas juste une. Pour moi, ignorer l’apport de certains savoirs, ce n’est pas être scientifique », soutient-elle.
Cyndy Wylde est déterminée à contribuer au changement. En ce sens, elle a participé à l’élaboration du microprogramme Développement enfants et familles autochtones à l’Université d’Ottawa. Le nouveau programme est en lien avec la loi C-92 concernant l’autodétermination des communautés autochtones concernant les services à l’enfance. Ce dernier sera offert dès l’automne 2024. Selon l'autrice des Premiers peuples, ce nouveau mode de fonctionnement oblige un changement de paradigme en travail social. Ce changement engendre l’urgence de former des travailleuses et travailleurs sociaux conscients, par exemple, des traditions juridiques et des modes de régulation sociale autochtones.
L’importance de la transmission
Finalement, le travail de Cyndy s’inscrit dans une volonté de transmission du savoir. Elle souhaite partager l’histoire de celles et ceux qui l’ont précédée. L'autrice autochtone est reconnaissante des modèles et des femmes de tête qui l’ont éblouie et l’ont inspirée dans son parcours. Elle dit chercher humblement à semer ce genre de graine combative et revendicatrice chez la relève. Sur le plan personnel, ses deux filles demeurent le moteur de son implication. Auprès d’elles, elle prend la pleine mesure des savoirs et de la conscience qu’elle souhaite transmettre, mais aussi des peurs intériorisées à déconstruire.
Chose certaine, avec Émergence insoumise et l’ensemble de ses travaux, l'autrice autochtone Cyndy Wylde construit un important legs en termes de documentation des réalités des Premiers peuples et de circulation des connaissances.
Cyndy Wylde sera présente au Salon du livre de l'Abitibi-Témiscamingue les 23 et 24 mai prochain.