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Sur la route d’épinettes et de bouleaux, on a roulé des kilomètres pour se rendre jusqu’en Abitibi-Témiscamingue. J’en ai dormi une bonne dizaine, je te voyais presque en rêve, mais pour ce qui est du chemin les yeux ouverts, à pieds comme en voiture, pas une trace de tes bouts de bois. Tu te cachais, on aurait dit. J’avais envie de te trouver, mais je ne t’ai pas vu.

Orignal.

Toi et ton panache, où vous cachiez-vous ? On me l’avait bien dit : « L’Abitibi, prépare-toi, des mouches noires pis des bouleaux, tout le temps pis ben de trop. Des panaches à la tonne, tu vas en voir. C’est la région des orignaux. » Mais chanceux comme je suis, les mouches noires n’étaient pas encore sorties. Et comme un aventurier avec un sac dans le dos, je ne pensais rien qu’à toi. Tes bouts de bois, comme y doivent être beaux sur le dessus de tes six pieds de haut. Mais en passant par Kitcisakik jusqu’au camping de Malartic, de Val-d’Or jusqu’à Rouyn-Noranda, jusqu’au haut de la colline Kékéko, jamais je n’ai pu te croiser, mon ami. Je me suis perdu, on dirait.

Photo de Mario Laframboise

Orignal, m’as-tu vu ?

J’ai ramassé, comme un chercheur d’or, des cocottes, des branches d’épinette et des morceaux de bouleau qui traînaient par terre. Des amis que je me suis fait ici s’en sont mis sur la tête en pensant probablement à autre chose qu’à toi, mais moi, je te voyais. Pas comme l’orignal qu’on met sur une affiche témiscabitibienne sans se poser de question, mais plutôt comme un emblème de ce qu’on aimerait trouver sur le bout du chemin. On trouve rarement exactement ce qu’on cherchait dans un voyage, mais on trouve souvent mieux, c’est-à-dire ce qu’on n’aurait jamais pensé chercher.

Ici, j’ai croisé des gens qui avaient soif d’être entendus. J’ai été accueilli comme un membre de leur famille. J’ai eu envie de crier fort, comme de m’éloigner le plus loin possible dans la forêt. Un jour, quand je repenserai à la paix forestière, je penserai aux arbres perdus dans le bois. Et en dansant, les yeux fermés, je penserai à toi, Grand panache. « Salut, c’est moi, le petit homme qui se prend pour un arbre. Est-ce qu’on se donne rendez-vous pour une prochaine fois ? »

On s’est manqués de près, c’est un ami qui me l’a dit. Il m’a envoyé une photo où on ne te voit à peu près pas, parce que tu te caches derrière les arbres. On s’est manqués de près, mais si ça te dit, je vais revenir. Je m’ennuie déjà de ton territoire, celui-là sur lequel on se rappelle parfois que l’homme n’est qu’une bête parmi tant d’autres. On se rappelle si tu veux. J’attends de tes nouvelles. Au plaisir, Orignal.