Cet article est écrit dans le cadre d'un partenariat avec L'Indice bohémien.
Les flocons tombent doucement sur cette fin d’après-midi d’hiver. Ariane Ouellet est à l’œuvre dans son atelier, un petit local avec chauffage d’appoint où règnent le matériel et les œuvres de l’artiste. Sur le même étage se trouvent d’autres locaux semblables où d’autres artistes ont établi leur quartier général. Cet endroit est mythique. L’atelier d’Ariane est chaleureux, malgré l’isolation défaillante. L’espace héberge des toiles qui attendent leur tour pour transmettre ce que l’imaginaire d’Ariane a en réserve. L’artiste m’accueille à sa façon, c’est-à-dire amicalement et sans complexe. On s’installe.
Un grand nombre de gens de l’Abitibi-Témiscamingue connaissent Ariane Ouellet. Son talent est visible sur plusieurs œuvres ornant les murs de Rouyn-Noranda. Son style de peinture est marquant. Cependant, son lien à la création et son évolution comme artiste restent une histoire à raconter.
Baigner dans l’art
Originaire d’Amos, Ariane Ouellet a grandi dans une maison qui baignait dans l’art. Son père a fait les Beaux-Arts et sa mère était encadreuse. C’était une évidence : elle étudierait en art. La photographie a été son premier amour. L’artiste a fait ses études en photo au cégep et a poursuivi cette passion à l’Université Concordia.
« À Concordia, comme les cours étaient en anglais, à une époque où je n’étais pas si bilingue, je suis allée voir les cours disponibles dans le département d’études françaises. J’ai trouvé un cours qui s’appelait “Littérature féminine francophone subsaharienne et des Antilles”. Je m’y suis inscrite et ça a été un coup de foudre monumental avec la matière enseignée! J’ai dit à mon chum de l’époque, “On s’en va en Afrique!” », explique Ariane en rigolant. Il faut dire qu’elle a le rire facile.
Coup de foudre pour l’intensité de la couleur
Après ce premier voyage en Afrique, Ariane n’est pas retournée vivre à Montréal. Elle a voyagé. Vers la fin de la vingtaine, elle est revenue s’établir en Abitibi-Témiscamingue. Elle a d’abord travaillé au Centre d’exposition de la ville d’Amos. En plus d’être en contact avec un bon nombre d’artisans de la région dans le cadre de ses fonctions, elle a aussi eu le mandat de présenter des ateliers éducatifs pour des groupes scolaires et de décloisonner l’art, de le rendre accessible grâce à des événements originaux. « J’aimais beaucoup cette job parce que ça m’a fait rencontrer toutes sortes d’artistes », précise-t-elle.
La peinture est arrivée dans sa pratique dans le cadre de son emploi au Centre d’exposition d’Amos. Une artiste venue y exposer travaillait avec la tempera à l’œuf, une technique qui utilise des pigments purs mêlés avec du jaune d’œuf. Ariane n’avait jamais vu ce genre de rendu. La puissance de la couleur l’a impressionnée. Elle s’est ensuite perfectionnée à l’école d’été d’arts et de métiers d’arts de Mont-Laurier, où elle a suivi son premier cours de peinture. « Je capotais ma vie, je ne dormais plus le soir tellement j’aimais pratiquer avec ce moyen d’expression. J’ai appris qu’il y avait un microprogramme en peinture qui se donnait à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Je me suis inscrite et j’ai fait le microprogramme », se remémore Ariane. À partir de ce moment, la peinture est devenue une technique importante dans sa pratique.
De l’Écart à Oulan-Bator
Le temps a passé et un mandat à l’Écart – Centre d’art actuel est arrivé dans sa vie, suivi d’un emploi comme libraire. Ce qui ne changeait pas, c’était le besoin de voyager. Un certain hiver, Ariane s’est donc envolée vers la Mongolie, une aventure qui a été une autre plaque tournante dans sa pratique artistique.
« Lors de ce voyage, je me suis cassé une dent et pour cette raison, on a dû rester près d’une ville pendant un certain temps. Après avoir visité tous les musées d’Oulan-Bator, on commençait à tourner en rond. Un moment donné, on est rentrés dans une boutique où j’ai vu des chapeaux super colorés avec des formes uniques. Ça avait l’air des costumes du Cirque du Soleil. J’ai voulu savoir d’où ça venait. On m’a alors dit que le travail du feutre, c’est l’artisanat traditionnel de la Mongolie », raconte Ariane.
Après des recherches menées auprès d’une personne du coin et huit heures de transport plus tard, Ariane a trouvé une femme prête à lui enseigner le feutre. « On a passé près de deux semaines avec cette dame super sympathique. La femme ne parlait que mongole, on se débrouillait avec pas grand-chose pour communiquer », précise Ariane. Encore aujourd’hui, le feutre fait partie de sa pratique.
L’art est une décision
Avec plusieurs cordes à son arc, Ariane nous a prouvé à maintes reprises qu’elle est douée. Selon elle, il ne suffit pas d’avoir du talent; l’art est une décision. « Parfois, on entend, “Ah! N’importe qui aurait pu faire ça” en regardant une œuvre qui semble simple, mais il faut quand même que quelqu’un ait pris la peine de le faire. Il faut d’abord y penser, puis le créer. On peut bien dire qu’on va faire de l’art plus tard ou faire de l’art à notre retraite, mais faire de l’art, c’est un choix. Il faut choisir qu’on passe du temps là-dessus et qu’on se consacre à ça », explique-t-elle.
Accepter l’éphémère
C’est bien pour dire! Ariane s’est effectivement consacrée à son art dernièrement puisqu’une exposition de ses œuvres est présentée depuis le 20 janvier au Centre d’exposition d’Amos. Celle-ci se termine le 12 mars 2023. Voilà un cycle complet, comme on dit! Depuis mai 2021, elle peint des portraits de ses enfants et elle puise, entre autres, dans cette riche veine pour sa nouvelle expo.
« J’ai peint beaucoup de mains et de visages. Au début, j’ai peint des mains par défi technique. Quand on est une fille qui fait de l’abstraction, on a l’impression qu’on ne sait pas dessiner », indique Ariane dont le travail commence toujours par ses photos.
Elle poursuit : « Je me suis rendu compte que je ne gardais que les images et les concepts basés sur un moment éphémère. La qualité de la lumière entre dans l’atelier pour une fraction de seconde. C’est aussi pour ça que je prends tout le temps mes enfants pour sujet, ils vieillissent. Je n’arrive pas à fixer le temps, leur vie me coule entre les doigts. C’est un dialogue avec moi-même que d’accepter que les choses ne durent pas », constate-t-elle. C’est cette réflexion que nous pourrons admirer à travers les œuvres d’Ariane Ouellet lors de son exposition.
Ariane m’a raconté que, dernièrement, elle est tombée sur son album du secondaire et la phrase qu’elle avait utilisée pour se décrire était « Je suis une angoisse à la recherche du temps perdu ». La petite Ariane ne croyait pas si bien dire! Si les choses changent, Ariane, elle, reste égale à elle-même. Sa façon de voir les choses et son talent illuminent les rues de la région grâce aux murales auxquelles elle a participé. Ses œuvres sur toile sont des fenêtres sur les moments incandescents du quotidien. Souhaitons que cette lumière brille encore longtemps.
Si vous avez aimé cet article, voici d'autres suggestions de lecture :
- L'ensemble Allegro, au-delà de l'ensemble à cordes;
- La petite histoire de Laurier le luthier;