Je n’aurais jamais cru que la commande de vous communiquer ma passion pour l’escalade m’aurait propulsé contre une page blanche. Chercher ce que ce sport m’apporte, ce que ces moments avec la roche font de moi, me guide dans l’embarras du silence. Je me sentais comme si je devais m’extirper de ma quiétude pour clamer à quel point j’étais bien. Je pressentais que la promotion des bénéfices liés à l’escalade provoquerait la dénaturation de ces instants d’harmonie où le progrès ne tient qu’à l’acceptation d’un dépouillement parfait de toutes agitations mentales.
Comment tracer le portrait d’un sport qui requiert un détachement de tout affect, une sensibilité proprioceptive imperturbable et un désir inconditionnel d’aspirer à la sérénité? Est-ce qu’un adepte du yoga se méfie de la commercialisation de sa discipline par crainte d’entorse aux racines de son art? Peut-être. Mais il existe forcément un compromis permettant une approche de cet art sans trop agiter les mœurs. L’escalade préconisant un équilibre parfait entre sérénité et concentration, il serait dommage de faire autant de tapage.
Constatez par vous-même la prémisse de cette réflexion. Je me prenais dans mes propres filets. Voici ce que je tentais d’exprimer par cet air de panique : quelle est l’intention derrière un tel exercice de style? Posée aussi calmement, la réponse se clarifie : le partage. Le partage d’une histoire, le partage d’une expérience et avant tout, le partage de valeurs. Alors, comme si on déplaçait délicatement une pierre pour entrevoir l’ours qui hiberne, levons le voile sur un instant de paix.
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La première fois qu’on m’a attaché à un harnais, il y a sept ans, je me trouvais au pied d’un mur, les Gaillands, dans les Alpes. J’observai mon partenaire nouer avec dextérité la corde à mon harnais, comme on examinait sa maman lacer nos souliers, en espérant que sa manœuvre soit plus sécuritaire qu’une double boucle de lacet. Mon regard oscilla du nœud à la paroi. Tout ce qu’on me proposa d’exécuter me stupéfiait. Un fantasme de p’tit gars. On m’autorisa à grimper avec l’assurance, en cas de chute, de demeurer à l’abri des aléas. Quel délire! On me trouva une paire de savates qui évoquait les trop petits souliers de ballet. On me rassura d’emblée que l’inconfort provoqué par tout le matériel — spécialement les petits souliers — est monnaie courante. On me lança un « tu peux grimper » d’une voix dépourvue de tout suspense. Une discordance totale avec ce qui se produisait dans ma tête et ma poitrine. J’approchai de la paroi comme on s’avance vers notre idole de jeunesse. Je peinai à lui fixer le sommet sans que le vertige ne m’assaille. Mains moites et corps tendu, je gravis tant bien que mal le tronçon de rocher. Sans souplesse ni aucune connaissance des mouvements de base, sans concentration ni rythme régulier de la respiration, je dus avoir l’élégance d’un enfant qui grafigne la glace avec ses patins pour la première fois. Malgré mon statut de néophyte, l’escalade venait de se tailler une place bien importante en moi.
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Lors de mon passage à Montréal — passage de trois ans — , j’eus l’heureuse surprise de tomber sur un mur d’escalade intérieur. Me rappelant mon expérience d’escalade chamoniarde, j’eus l’envie de faire le saut dans l’univers de la roche. Je suivis le cours d’initiation offert et me perfectionnai sur le mur artificiel trois ans durant. On m’apporta à l’extérieur quelques fois et m’initia aux rudiments de l’escalade de roche. Ces grimpes m’ont ouvert les yeux sur l’immense potentiel que m’offrait ce sport.
Lors d’un retour de voyage de huit mois, je décidai de m’offrir un répit et de me poser quelques semaines à Rouyn-Noranda. À travers les branches, j’entendis parler d’un club d’escalade, ici même, chez moi. Qui l’eut cru! Quatre années passées à découvrir des parois, au Québec, aux États-Unis, en France, sans jamais me douter que l’Abitibi-Témiscamingue, ma propre cour, regorgeait de belles façades à explorer et d’un mur d’escalade artificiel. C’en était fait, je signai mon premier bail abitibien; je devais découvrir les petits trésors naturels que ma région offrait. Constat : ce répit de quelques semaines s’étira sur trois ans.
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Dans l’énoncé « faire de l’escalade », il faut entendre davantage que le simple fait de grimper une paroi. Cette formule foisonne de valeurs, de possibilités de voyage et de dépassement. Se décerner le terme de grimpeur, c’est se révéler amoureux des randonnées, du dodo en plein air, du repas à l’ombre de la forêt, de la saucette dans le lac après une journée sur la paroi. C’est préciser aux gens que nous ne trouvons nos aises que lorsque nous tenons ciel comme toit : l’appétit du grand air. L’escalade rime avec redéfinition des balises. Il abonde d’occasions de maitriser ses vertiges. Les petits muscles du cerveau ne se découpent pas avec des haltères, mais avec la propension à réfléchir, à faire abstraction des interférences et à la configuration d’une inébranlable confiance en soi. C’est pourquoi je manquerais d’originalité à ne vanter que les bienfaits de l’escalade sur le corps. Penduler à plusieurs mètres du sol uniquement pour sculpter les abdos, autant s’en tenir au gym.
Aux frontières de ses limites, la nature de notre équilibre fait la différence entre la chute ou l’ascension. Les Collines Kékéko se dressent dans notre cour arrière : tout est à notre disposition pour le bond en avant.
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