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Marie-Élaine – De conseillère pédagogique urbaine à gardienne de caribou en région

En cette fin de matinée d’automne, je rejoins Marie-Élaine, qui est déjà attablée. L’ambiance est joyeuse dans le restaurant, dont le soleil perce les grandes fenêtres. L’astre du jour prend soin d’éclairer les yeux bleu très pâle de mon invitée. Marie-Élaine vient d’arriver dans la région. Elle et son conjoint ont décidé de s’établir à Rouyn-Noranda. Auparavant, elle était conseillère pédagogique, mais Marie-Élaine a troqué les corridors de CÉGEP pour la forêt boréale et les élèves pour des caribous. Oui, elle est désormais gardienne de caribou. Comment en vient-on à faire un changement aussi contrasté? Sur son long chemin se trouvent des réflexions nobles et honnêtes. Notre conversation percera les raisons de ce changement. Elle prend le temps de nous l’expliquer.

Trouver ancrage

Commençons par le commencement. Marie-Élaine me raconte que, géographiquement, elle n’a pas vraiment d’ancrage. Elle est née à Val-d’Or, où elle a vécu sa petite enfance. Puis, elle est déménagée à Québec, ensuite à Sherbrooke pour les études et s’est finalement déposée à Montréal pour le début de sa vie professionnelle. Son conjoint Joël, pour sa part, vient de l’Abitibi-Témiscamingue. Même s’il a habité la métropole pendant 14 ans, la région est ce qu’il appelle son « chez lui ».

Marie-Élaine tout sourire lors de notre rencontre. - photo : Claudine Gagné

Quand Marie-Élaine et Joël se sont rencontrés, ils se sont promis de rembourser leurs dettes d’études, puis de voyager. Une fois les dettes payées, le duo, ankylosé par le quotidien et la fatigue, n’a pas trouvé l’énergie pour bouger. La pandémie est arrivée et Marie-Élaine s’est trouvée à faire un premier burn-out, puis un deuxième. « Je m’étais empilé une vie que je pensais convenable, mais ça ne me convenait pas à moi », m’explique-t-elle.Les conditions extrêmes de la pandémie ont exacerbé ce sentiment pour qu’elle se rende finalement compte que ça ne fonctionnait pas.

Déconstruire pour reconstruire

Honnête avec elle-même, Marie-Élaine a pris une pause. Pendant un an, elle a vécu uniquement sur ses économies. Année pendant laquelle elle a commencé des cours de piano jazz,  intégré une troupe de théâtre, s’est mise à peindre et à faire du ballet tous les jours. Ella a aussi commencé à faire du bénévolat en politique et dans un sanctuaire d’animaux de ferme. « J’ai meublé avec ma vie avec tout ce que j’aimais. J’ai retrouvé de l’énergie pour vivre et savoir ce que je voulais. » Se souvient-elle.

Avec Joël, ils ont commencé à chercher une maison. « À la place de s’en aller partout ailleurs dans le monde, on a choisi Rouyn. On s’est rendu compte qu’ici il y a tout ce qu’on veut. » Ce à quoi elle ajoute : « Rouyn-Noranda n’est pas une ville mono-industrielle. Il y a la liberté d’être qui tu veux être. Il y a plein d’artistes et ce n’est pas saturé », précise-t-elle. « On dirait qu’ici tu peux semer des graines et que ça peut foisonner. Tu te construis un réseau et des portes s’ouvrent. Honnêtement, ça me fait vraiment du bien ça », ajoute-t-elle.  

C’est donc à la fin du mois de juillet que notre duo est déménagé en région. À l’époque Marie-Élaine n’avait pas encore d’emploi. Son année sabbatique l’a aidé à mieux vivre avec l’incertitude. Elle a vite trouvé un boulot. « J’ai trouvé ma job tellement facilement! » Se souvient-elle. Un de ses amis lui a envoyé une offre d’emploi où on cherchait quelqu’un pour travailler à la Réserve de biodiversité de caribous de Val-d’Or. Elle a postulé et le reste fait partie de l’histoire!

Un quotidien bien différent

Le quotidien de Marie-Elaine a changé de nouveau. Elle a sa petite routine. « Je me lève à 6h30, je fais mes poches de moulée, puis mon foin et mon lichen et je vais nourrir les caribous trois fois par jour à des heures fixes », précise-t-elle. En plus de ça, elle change les cartes mémoires dans les petites caméras de chasse. Depuis une tour d’observation, elle étudie le comportement des précieux cervidés. : « Je les regarde vivre. Je regarde qui mange quoi. J’observe les dynamiques dans le groupe. »

Marie-Élaine, bien heureuse de savourer sont latté au lait végétal. Photo : Claudine Gagné

Est-ce que cette nouvelle occupation lui convient? « La grosse joie que je retire c’est quand je regarde les caribous. Je suis pleine d’amour quand je fais mes heures d’observations. À travers les saisons, le décor change, les oiseaux changent aussi. La vérité de tout ça me procure un bien fou », m’avoue-t-elle.

Faire une différence dans son environnement lors de ses tâches quotidiennes lui est essentiel. « Je me rends aussi compte que moi aussi je suis une petite créature et j’ai besoin que mon quotidien soit l’fun, j’ai aussi besoin d’aimer les affaires que je fais », dit-elle bien naïvement. Ce n’est pas très sorcier, c’est surtout une mission très noble!

Des nouveaux défis et des ajustements

Bien que sa nouvelle réalité lui apporte de la joie, tout n’est pas un conte de fées. Marie-Élaine est très lucide au sujet de son parcours incongru, mais elle reconnait que sa situation précédente n’était pas viable. Elle a eu des choix difficiles à faire. « Avant j’étais fonctionnaire, j’avais un certain confort, j’avais des assurances. Là, je suis contractuelle, je gagne moins d’argent et je ne suis pas dans mon champ d’expertise. » Malgré ces défis, elle a quand même envie de continuer sur cette nouvelle voie.

« Changer de région ça demande de la patience et il faut être doux avec soi-même. Après un ou deux ans, je ferai des changements. Peut-être qu’éventuellement je vais voir de nouvelles options qui vont apparaître, des portes qui vont s’ouvrir. Je laisse le temps aux choses de se déposer », me précise sagement Marie-Élaine au moment de notre rencontre.


Avant de quitter notre rendez-vous, j’étais curieuse de connaitre ses projets futurs en tant que nouvelle arrivante. Sa réponse est toute simple : elle souhaite faire de l’art et des connexions. Elle ajoute : « Ici, je m’aperçois que ça peut être valorisant de créer des liens et de se présenter vulnérable et vraie. En général, les gens ne savent pas vraiment ce qu’ils font. On peut-tu juste se donner le droit et vivre ça tout le monde ensemble? » Simple, vraie et honnête, Marie-Élaine a toutes les qualités pour bâtir des liens précieux. On lui souhaite la bienvenue et le meilleur des succès avec ses nouveaux objectifs!